lundi 6 mai 2013

Paul Biya, la libération des otages français et les faux-semblants d'un coup de poker diplomatique

La libération des sept otages français enlevés dans l’Extrême-Nord du Cameroun est peut-être un coup de poker diplomatique pour Paul Biya. Mais, il ne lui garantit ni une meilleure popularité à l’intérieur de son pays, ni même la grâce de Paris qu’il désire tant. Si c’était un thriller, « l’affaire Dabanga » pour l’appeler ainsi, aurait connu le dénouement que l’on souhaite toujours après tout le suspens et les frayeurs. Mais, il faut se le dire, ce thriller là aurait manqué de piquant et d’intensité. Tant il est vrai qu’il n’y a pas vraiment eu de suspens. Il était évident que Yaoundé céderait facilement. Evidemment, ce n’était pas un thriller. C’était la vie de sept hommes, femmes et enfants qui étaient en jeu. En chair et en os. Le moindre dérapage aurait mis fin à leurs jours. Il a donc fallu négocier. Quitte à céder au chantage des ravisseurs. Dans cette optique, il est certain que les autorités camerounaises ont cédé. C’est sûr, des prisonniers de Boko Haram, détenus au Cameroun, ont été libérés. C’est aussi possible qu’une rançon ait été payée. Pour Paul Biya, c’était là en tout cas l’occasion de tenter un coup de poker. Même si les otages se trouvaient au Nigéria, il a décidé de prendre les devants, de tout mettre en œuvre pour obtenir la libération de ces otages. Dans l’espoir évident qu’une issue heureuse permettrait de réchauffer ses relations avec l’Elysée. Si l’on en croit les premiers échos, le président camerounais de 80 ans, au pouvoir depuis 31 ans, est en train d’engranger les premiers bénéfices de ce dénouement. François Hollande a publiquement eu une « pensée particulière pour le président Biya, qui dans ces derniers jours a eu un rôle important ». En outre l’Agence France Presse (AFP), mamelle nourricière de la plupart des journaux français, a été sans équivoque. « Le président Biya est conforté par la libération des otages français ». Et comme il fallait s’y attendre, des partisans et griots du pouvoir de Yaoundé se sont rués dans les médias officiels pour lui adresser des motions de soutien. Certains de ces griots ont même souhaité qu’il lui adressé un prix nobel de la paix pour cette libération « pacifique ». Un tintamarre obséquieux comme on en a l’habitude dans les Républiques comme celle du Cameroun. Engagement à double vitesse Il faut cependant se garder, du moins pour l’instant, de croire que le bénéfice est aussi évident qu’il en a l’air. D’abord sur le plan national. Des interrogations soulevées ça et là par des compatriotes atténuent sans aucun doute le triomphalisme des zélateurs du « Renouveau ». Il y en a qui se demandent par exemple si la quasi soumission des autorités de Yaoundé n’est pas de nature à encourager les ravisseurs. Les membres de Boko Haram ne vont-ils pas opérer au Cameroun et faire chanter les autorités chaque fois qu’ils auront des revendications ? Chaque fois que leurs caisses seront vides ? Les membres de la secte qui ont été libérés ne sont-ils pas dangereux pour l’avenir ? Y a-t-il eu versement de rançons ? Si oui, combien et pourquoi a-t-il fallu que ce soit le Cameroun qui paye la note ? Cet argent n’aurait-il pas mieux servi à désenclaver cette région du pays et spécialement cette zone ? Des questions qui ne manquent pas de pertinence. Autre motif de désaffection pour certains Camerounais : la trop grande attention accordée à ces otages français. L’on sait maintenant que régulièrement, Paul Biya et Laurent Fabius s’entretenaient régulièrement au téléphone pour faire le point de la situation. Après la libération de la famille Moulin-Fournier, c’est un communiqué de la présidence de la République qui a rendu publique la nouvelle. L’investissement personnel du chef de l’Etat dans cette affaire est un argument supplémentaire pour ceux qui ne cessent de clamer que le président camerounais n’est qu’un suppôt de la France. Faut-il rappeler qu’au Cameroun, de nombreux cas de disparitions et de meurtres restent non élucidés dans l’indifférence des autorités ? Vanessa Tchatchou, une adolescente de 17 ans, a perdu son bébé dans un hôpital de Yaoundé. On n’a pas vu les autorités se déployer avec la même énergie pour retrouver cet enfant qui serait vivant et retenu par une magistrate. En 2001, 9 jeunes camerounais sont portés disparus à Bépanda, dans la capitale économique du Cameroun. Ils avaient été interpellés par les forces de l’ordre suite à une plainte pour vol d'une bouteille de gaz domestique. Ça fait 12 ans, on ne sait toujours pas ce qu’ils sont devenus. En 2006, un jeune homme dénommé Narcisse Olivier Djomo Pokam a été assassiné et balancé d’un hôtel de luxe en plein cœur de Yaoundé. Sa famille n’a jamais su et ne saura peut-être jamais la vérité sur cette affaire. Les assassins circulent librement au Cameroun. Tout comme les commanditaires d’une série de crimes rituels qui ont endeuillé une dizaine de familles début 2013 à Yaoundé. Les enquêtes de police ont été ouvertes. Quelques personnes ont été arrêtées mais, ceux qui ont commandité les meurtres courent toujours. Enfin, et pour n’en rester que là, comment ne pas rappeler que depuis plus de deux ans, un Camerounais dénommé Tchamba Ngassam Melvin est porté disparu au Congo Brazzaville (dans la nuit du 07 au 08 avril 2011). Malgré les suppliques de sa famille, les nombreuses conférences de presse et des correspondances adressées aux autorités, camerounaises, l’on n’a pas un début de répondre sur son sort. Hélas ! Il n’est que Camerounais ! Ces cas parmi tant d’autres montrent bien que le pouvoir de Yaoundé n’est pas toujours prêt à la même diligence quand il s’agit de la vie de ses propres compatriotes. Malgré donc les motions de soutiens signées pour féliciter Paul Biya de la libération des otages français, le sentiment profond du peuple camerounais n’est peut-être pas unanimement celui que l’on veut faire croire. Avec Paris, rien n’est jamais sûr… Paris se félicite certes du rôle joué par Paul Biya dans l’affaire. Mais, cela ne signifie pas pour autant que le régime de Yaoundé est devenu tout d’un coup démocratique et fréquentable. Il faut bien rappeler que c’est la libération de cinq infirmières bulgares et d’un médecin palestinien en Libye en 2007 qui avait signé le retour de Mouammar Kadhafi sur la scène internationale. Cela n’a pas empêché que 4 ans plus tard, les relations entre Kadhafi et les principales puissances se dégradent rapidement après le soulèvement d’une partie du peuple libyen. C’est même Paris qui a été à la pointe de l’offensive internationale qui a permis de traquer le guide libyen jusque dans le tunnel crasseux d’où il était terré au moment de son arrestation. Comment ne pas également rappeler qu’en 2007, pour ne pas s’embarrasser des colères de Paris, Idriss Déby avait décidé de rapatrier en France les fondateurs de l’arche de Zoé qui tentaient de voler et d’embarquer des enfants du Tchad vers la France. Malgré cela, la France a laissé progressé la rébellion jusqu’aux portes du palais présidentiel quelques mois plus tard. Il faut donc rester lucide et considérer que les propos aimables de François Hollande sont purement émotionnels et circonstanciels. Entre le Cameroun et la France, les questions qui fâchent restent en suspens : la détention du Français Thierry Michel Atangana, l’extrême longévité de Paul Biya au pouvoir, la perte de vitesse des entreprises françaises au Cameroun, etc. Qu’on le veuille ou pas, Paul Biya n’est pas Macky Sall, il n’est pas Yayi Boni, il n’est pas Alassane Ouattara. Pour beaucoup de politiques et observateurs français, c’est un ami d’hier qui, en raison de son âge et de son très long règne, est appelé à partir bientôt. Et, il vaut mieux déjà penser à l’avenir…..