mercredi 27 février 2013

Bâchir, reviens vite !

Le président de la République, Idriss Déby Itno, a décidé de se débarrasser de son ministre en charge de la sécurité publique et de l’Immigration : Ahmat Mahamat Bâchir. Cette décision, ayant abouti à un léger réaménagement du gouvernement, découle d’une autre : la suspension de l’ensemble de la police dans le but de procéder au toilettage de son personnel. Même si la suspension de la police a été décidée par un acte présidentiel (il ne pouvait en être autrement pour un acte d’une telle gravité), il est extrêmement difficile de ne pas y voir le touche personnelle de ce ministre pas comme les autres. C’est certain, le « superflic » a joué un rôle dans cette affaire. Savait-il seulement qu’il serait emporté par la bourrasque ? Probablement pas ! L’increvable baroudeur, dans les colonnes de votre journal, ne se privait pas, quelques jours seulement avant sa chute, à mettre en garde policiers et criminels du 3ème arrondissement. Il faut reconnaitre que ce personnage atypique manquera au décor du gouvernement. Tant son style, ses méthodes et son bagout étaient des plus singuliers. Avec son verbe tranchant et brutal, adepte des méthodes spectaculaires, toujours à l’affût des coups d’éclat et ne reculant jamais devant la levée de boucliers que pouvait susciter ses décisions, Bâchir était devenu l’homme de scène du régime Déby. Le tenait-on en affection ou, le haïssait-on vraiment ? Le temps le dira. Toujours est-il que dans le décor froid, raide et protocolaire qui est celui de la très haute administration, Bâchir a laissé son emprunte. A N’Djaména, c’est quasiment chacun qui avait un qualificatif pour lui. « Le fou du roi », le « superflic », le « supervoyou », etc. Hommes politiques, journalistes, détracteurs, citoyens ordinaires ; c’est chacun qui s’amusait de ses « bâchirades ». Eh oui ! Il aura même fallu trouver un néologisme qui puisse coller à la peau de l’homme à la barbiche poivre et sel. Quand il ne traitait pas ses administrés de « voyous », quand il n’annonçait pas le « châtiment » de telles ou telles autres catégories de personnes qui s’opposaient à ses mesures, quand il ne menaçait pas les adversaires du président Déby de le « trouver sur son chemin », il trouvait toujours les mots, avec un remarquable sens de la formule, pour provoquer les « bandits » et autres mécontents. Outre le verbe mordant dont il avait seul le secret, Bâchir savait se mettre sous les projecteurs de l’actualité en prenant des mesures, souvent impopulaires, qui selon lui étaient salutaires. Il s’obstinait à penser que le port du casque devait être obligatoire pour les passagers des clandos, quand bien même des maladies comme la teigne pouvaient se transmettre de passagers en passagers. Bâchir s’obstinait à penser que les blanchisseurs de fortune - enfants déshérités pour la plupart – qui faisaient la lessive autour du fleuve Chari et Logone, n’avaient qu’à mieux s’organiser. En ce qui concerne les pêcheurs qui menaient leurs activités dans le fleuve Chari, ils les qualifiaient souvent de trafiquants de drogues et d’armes. Bâchir n’avait pas de pitié quand il était convaincu du bien-fondé de sa décision. Quitte à se donner en spectacle, à susciter tantôt le malaise, tantôt de l’amusement. Par exemple, il fit savoir un jour que les populations et les bandits ne devaient pas être surpris de le voir personnellement dans les rues de N’Djaména à des heures très tardives pour veiller à la sécurité de ses concitoyens. Du bluff peut-être, des « bâchirades » évidemment. Ce Bâchir là manquera à tout le mode. Y compris à ses détracteurs. Aux journalistes en premier qui n’auront peut-être plus du piment à mettre dans leurs journaux. A ses détracteurs qui n’auront plus en face l’increvable baroudeur qui leur permettait de discourir à longueur de journées pour critiquer ses méthodes (à cet effet, votre journal a reçu toute une pile d’articles d’opinion) et, peut-être même, à ses propres collègues du gouvernement qui le regardaient faire avec curiosité. Tous – ou presque tous – se régalaient de ses « bâchirades ». Bâchir, tu vas leur manquer. Bâchir, reviens vite !

mardi 12 février 2013

Paul Biya a raison : il n’est pas si fatigué que ça !

En marge de l’audience de travail que lui a accordée le président français, François Hollande, le 30 janvier dernier ; répondant à la question d’une journaliste française qui lui demandait s’il n’était fatigué au point de passer la main, Paul Biya a répondu : « Ai-je l’air si fatigué ? » Eh oui ! Cette déclaration, apparemment anodine, n’est pourtant pas dénuée de sens. Quand un homme de 80 ans, cumulant une trentaine d’années au somment d’un pays de millions de personnes et, totalisant plus d’un demi-siècle dans la très haute administration, vient à penser qu’il n’est pas assez fatigué pour prendre sa retraite, ça donne à réfléchir. En effet, celui que le journal français « Libération » appelait « le roi fainéant » a toutes les raisons de ne pas être fatigué ! Le secret de sa jeunesse éternelle : utiliser le pouvoir pour rester au pouvoir. Chez cet homme, la notion du pouvoir n’est pas la même que chez les autres chefs d’Etat. Paul Biya a montré qu’il avait une conception libidinale, « spectrale » au sens du politologue Achille Mbembe ; bref, une conception jouissive du pouvoir. Pendant qu’en France par exemple, le président de la République tient un conseil des ministres toutes les semaines, Paul Biya peut passer un an ou deux ans et plus sans rencontrer ses ministres. Grand amateur des « courts séjours privés » dans les hôtels de luxe, séances de thalassothérapie, interminables séjours en Europe (plus d’une centaine chaque année) ; Paul Biya travaille peu ou pas ! Comment donc serait-il assommé par 30 ans de charge présidentielle. Même l’ancien président français, Jacques Chirac, s’étonnait des méthodes de cet éternel vacancier qui gouverne le Cameroun. « Comment peut-il gouverner un pays aussi complexe que le Cameroun en s’y consacrant ausssi peu » s’interrogeait Chirac. Eh bien, c’est simple : Paul Biya a placé l’avion Cameroun en mode automatique. Ses collaborateurs gèrent les dossiers comme ils veulent. Sans aucun contrôle strict de sa part. Avec les conséquences que cela entraine dans les détournements de fonds. C’est ainsi que, voyageant sans cesse entre son village natal et la Suisse, il peut laisser un dossier dans son tiroir pendant près d’un an. Conséquence, il peut lui arriver de signer des décrets nommant des gens morts depuis des mois. C’est ce qui est arrivé le 18 janvier 2011 quand il a nommé un certain Njutapmwoui Ousmanou, secrétaire d’administration principal, au poste de sous-préfet de l’arrondissement du Nord Makombé, alors que celui-ci était décédé depuis le le 11 mai 2010. Ce qui signifie que le projet de décret est arrivé à la présidence de la République depuis près…d’un an ! Ailleurs, il n’y a qu’à regarder les apparences physiques des chefs d’Etat pour comprendre que la « charge présidentielle » n’est pas une partie de plaisir. Traits tirés, visage lézardé de rides, mine austère ; Barack Obama et Nicolas Sarkozy ont vieilli après seulement un mandat. Malgré son sourire éternellement épinglé sur le visage, malgré ce visage parfois poupin qu’il affiche face aux médias, Barack Obama n’a plus la même fraicheur qu’il y a cinq ans. Normal, quand on est régulièrement obligé d’interrompre ses rares périodes de vacances pour répondre aux urgences de la Nation, le poids de la responsabilité impacte sur les reflets du corps humain. Oui, Barack Obama a suivi de près l’évolution de l’ouragan Sandy pendant que Paul Biya était à l’étranger au moment où les inondations s’abattaient sur le grand Nord. Et quand il y a fait un tour, c’était sur du tapis rouge. Pour quelques heures ! Oui, Barack Obama s’est ému – à chaudes larmes – de l’assassinat d’écoliers dans son pays par un homme qui a usé de son arme à feu pour terroriser une école. Il ne s’en est pas qu’ému. Il a lancé un débat national sur l’usage des armes à feu. Pendant ce temps, au Cameroun, une dizaine de jeunes filles étaient assassinés sans que Paul Biya ne dise un seul mot sur la question ! Oui, pendant que Barack Obama suivait la situation du Mali de très près, au point d’envoyer de la logistique pour aider à traquer les islamistes dans le Nord du pays, pendant que plusieurs chefs d’Etat de l’Union Africaine se réunissaient à Addis-Abeba pour débattre de la situation, Paul Biya se rendait en France pour faire des photo-souvenirs avec François Hollande, des politiques et des hommes d’affaires français. D’ailleurs, François Hollande a laissé son hôte à ses plaisirs parisiens pour aller toucher du doigt, la situation au pays d’Amadou Toumani Touré. Oui, Paul Biya a raison. Il n’a pas l’air si fatigué que ça ! Comment pourrait-il en être autrement quand un président français peut parcourir, en un seul mandat, plus de capitales africaines que Paul Biya ne l’a fait en 30 ans de pouvoir ? Comment peut-il en être autrement quand, dans son propre pays, on n’a pas parcouru plus de 20 localités pour un pays qui compte 360 arrondissements ? Oui, Paul Biya n’est pas fatigué. Il ne gouverne pas. Il se prélasse dans les plaisirs du pouvoir. C’est ce qui explique que l’essentiel de ses anciens secrétaires généraux à la présidence de la République aient visé son fauteuil. Se demandant pourquoi ils ne méritaient pas d’y être les occupants alors que tout le boulot présidentiel leur incombait. A méditer…