jeudi 20 août 2009

Cameroun: Tcholliré, évocation livresque d’une prison politique


Pour y avoir séjourné, Emmanuel Bityeki entraîne le lecteur de son roman dans cette célèbre prison politique.

 

Tcholliré, c'est d’abord le nom d’une ville camerounaise. Mais, dans une perspective historique, c’est une ville qui évoque les sombres souvenirs de l’histoire du Cameroun. Célèbre prison politique des années 1970, Tcholliré qui signifie « la colline aux oiseaux » est l’un des symboles de la féroce dictature qu’aura connue le Cameroun après son accession à l’indépendance.

Arrêté à cause d’un présumé complot ourdi contre le président de la République El Moujahid, le narrateur se retrouve embarqué vers la brigade de mobile mixte puis vers la prison de Tcholliré. Il y subit des tortures et des humiliations d’une innommable barbarie. L’auteur du roman, Emmanuel Bityeki, nous balade ainsi dans la réalité des régimes dictatoriaux qui auront caractérisé la plupart des pays africains postcoloniaux. Une dictature qui n’est pas nécessairement le fait des chefs d’Etat. Et, c’est là l’une des véritables révélations de l’ouvrage. Car, Tcholliré la colline aux oiseaux est d’abord la chronique d’une dictature nourrie par les éléments des forces de l’ordre dont le zèle extrême, le carriérisme et l’arrivisme ingrat égratignent et bafouent sauvagement la dignité et les libertés élémentaires des citoyens. Ce sont les calomnies, les fausses accusations, les dénonciations fantaisistes qui fondent le succès de ces policiers et militaires qui ne se préoccupent que de leurs ascensions professionnelles. Ainsi que l’avoue le commissaire Molla, l’un des personnages du roman : « Au cours de ma longue carrière, j’ai pillé, assassiné, incendié des villages pour faire croire à mes chefs que les maquisards avaient attaqué…c’est cela chers amis qui a assuré mon ascension ».


Tcholliré, la colline aux oiseaux raconte aussi, d’une saignante vérité, les crimes et les horreurs d’un système politique répressif et sanguinaire. « Grâce à des fils de connexion appropriés munis de pincettes, on reliait les parties intimes de votre corps à la dynamo. Cette dynamo était actionnée manuellement par un soldat à l’aide de la manivelle. L’intensité de la décharge électrique était proportionnelle à la vitesse de rotation de la manivelle et donc à l’ardeur du soldat à la tâche » raconte la narrateur. Accès de folie, suicides, maladies mortelles, exécutions sommaires sont le lot quotidien des prisonniers qui n’ont même pas le droit de se défendre.

Roman témoignage? L’on n’en est pas éloigné si l’on considère que l’auteur aura lui-même été prisonnier politique à la brigade de mobile mixte et à la prison de Tcholliré. Mais aussi, les éléments de fiction jalonnent le livre, lui donnant une véritable allure d’œuvre de fiction. C’est le cas du fameux coup d’Etat qui renverse le président El Moujahid ou de la cécité dont est frappée le narrateur à la fin de l’ouvrage. Toutes choses qui évidemment s’écartent de la réalité vécue par l’auteur.

Véritable testament historique, le roman de Emmanuel Bityeki évoque tout un pan de l’histoire du Cameroun très peu connu par les nouvelles générations de camerounais. Un livre facile à lire que le lecteur appréciera grâce à l’humour grinçant et à la simplicité du style de l’auteur. Libéré après plus de 9 ans de détention, le narrateur n’a pas la joie de savourer sa liberté. Il découvre la mort de ses proches. Une fin tragique sur laquelle le lecteur manquera à peine d’écraser une larme et qui conclue avec une émotion vibrante, les douloureux souvenirs portés par un camerounais qui aura souffert de sa chair, la dictature du régime de El Moujahid, dont le nom est très proche d’un certain... Ahmadou Ahidjo !