vendredi 20 août 2010

La diaspora camerounaise objet de convoitises politiques


Alors que l'image du Cameroun est de plus en plus ternie à l'étranger, le gouvernement et certains groupes de pression cherchent à "contrôler" la diaspora.

L'image du Cameroun prend des coups depuis quelques mois. Deux rapports de l'ONG International Crisis Group ont dressé une photographie particulièrement alarmiste sur le Cameroun. En indiquant que les risques de divisions ethniques, dans l'armée et pour la conquête du pouvoir, les nombreuses défaillances institutionnelles faisaient peser sur le Cameroun, des risques d'instabilité politique. Le rapport "Doing business" sur les questions économiques a placé le Cameroun vers la queue de peloton de plusieurs pays en terme terme de facilités d'investissement. Un classement de la revue américaine "Foreign Policy" a placé le président camerounais Paul Biya parmi les pires dictateurs du monde.

Derrière ces rapports, il y en a qui n'hésitent pas à voir la main des activistes camerounais vivant à l'étranger. D'ailleurs, il y a seulement quelques mois, Célestin Bedzigui, homme politique camerounais vivant aux Usa a décidé de saisir l'Organisation des Nations Unies (Onu) pour que soit diligentée une enquête sur les émeutes de février 2008 réprimés les forces de l'ordre et ayant abouti à la mort d'une centaine de jeunes camerounais. En outre, les déplacements du chef de l'Etat camerounais sont de plus en plus perturbés par des manifestations organisées par certains Camerounais de l'étranger. Alors que le pouvoir de Yaoundé investit des sommes importantes (dans des médiaux internationaux) dans l'achat des espaces publicitaires pour améliorer son image à l'étranger, certains Camerounais ont pris d'assaut des sites Internet d'informations pour critiquer les actions du gouvernement et véhiculer des diatribes contre le président Paul Biya. La diaspora semble donc de plus en plus gêner le pouvoir de Yaoundé. C'est pourquoi, cette diaspora est de plus en plus courtisée. En juillet dernier, à Washington aux Etats-Unis, s'est tenue la première conférence de la Cameroon disapora for change (Camdiac). Cette conférence éminemment politique a regroupé plusieurs Camerounais de l'opposition et même l'ancien capitaine putschiste (dans l'affaire du coup d'Etat manqué de 1984), Guerandi Mbara. Selon Adamou Ndam Njoya, leader du parti parti de l'opposition (Udc), qui s'exprimait lors d'une conférence de presse à Yaoundé, cette rencontre de Washington visait à "discuter des méthodes démocratiques pour une révolution qui bénéficie à tous les Camerounais". Objectif feutré donc : "chasser Paul Biya du pouvoir" comme suggéré par l'un des participants à cette conférence.

Réplique

Quelques semaines après cette conférence, une autre frange de la diaspora s'est réunie à Yaoundé pour le premier forum économique et comercial (forecdia 2010). Cette rencontre organisée par le pouvoir de Yaoundé - comme pour donner la réplique à la Camdiac - avait pour objectif général "d'amener la diaspora camerounaise à participer de manière plus significative au développement économique et social" du Cameroun. Si le flou persiste sur les résolutions de la rencontre de Washington (aucune synthèse officielle n'a été livrée à la presse même si le leader du parti politique Union Démocratique du Cameroun a précisé qu'il ne s'était pas agi de parler de coup d'Etat), celle de Yaoundé a connu une maigre moisson : il est annoncé la mise en place d'un fonds d'investissement de la diaspora.

La diaspora camerounaise est donc l'objet de sollicitation. Autant par la régime de Paul Biya qu par les forces de contestation. "Le régime entend utiliser la diaspora comme un élément de renforcement par lequel celle-ci apporterait son savoir faire au plan technique, scientifique et économique sans mettre en cause le contrôle politique que ce régime exerce sur le Cameroun. Par contre pour les groupes d’opposition, il s’agit de mobiliser la diaspora en jouant précisément sur une certaine capacité d’interpellations de nombreux réseaux de cette diaspora qui conteste la crédibilité, l’efficacité ou la légitimité du système politique et institutionnel camerounais actuel. Dans la perspective de ces forces d’opposition, l’implication et l’engagement de la diaspora au Cameroun sera d’abord politique parce qu’on estime que le système institutionnel n’est pas un système pertinent" analyse le politologue Owona Nguini. "La manière dont un certain nombre de groupes proches de la diaspora politique contestataire se sont mobilisés à l’occasion de l’affaire des vacances présidentielles ou à l’occasion du rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement (Ccfd) à montré que ces groupes pouvaient peser sur l’image du Cameroun à l’extérieur et sur la réputation même de son gouvernement. Voila pourquoi le gouvernement semble avoir changé de fusil d’épaule en entreprenant de dialoguer avec un certain nombre de milieux de cette diaspora, de structurer politiquement une diaspora qui lui soit plus favorable" ajoute t-il.

Drague mesurée

Le gouvernement veut désormais intégrer la diaspora dans les composants de sa structure organisationnelle. Il évite toutefois d'aborder avec elle (cela s'est encore démontré au cours du forum de Yaoundé) deux questions majeures : le droit de vote et la double nationalité. De plus en plus, les Camerounais de l'étranger veulent pariticiper au vote des décideurs et veulent jouir de la nationalité camerounaise que la loi n'accorde pas à tous ceux qui décident de prendre une autre nationalité. La pression s'accentue désormais sur le pouvoir de Yaoundé, au moment même où elle sollicite la contribution de sa diaspora, de lui accorder droit de vote. Un risque politique que le régime au pouvoir redoute car, elle n'a pas la garantie que cette frange de camerounais lui accorderait ses suffrages. S'il arrivait que cette diaspora vote massivement contre lui, il serait alors difficile d'expliquer le contraste entre le rejet de ses compatriotes de l'étranger et ceux vivant sur son territoire national. En attendant de lui concéder ce doit de vote, le pouvoir de Yaoundé tente de recoller les morceaux. Il entend désormais organiser un forum économique et commercial avec la diaspora chaque année. Et, le président Paul Biya a récemment promis de "revenir" sur certaines revendications de la diaspora. Jusqu'à ce que, peut-être, se tienne la prochaine élection présidentielle à laquelle certains lui prêtent l'envie de prendre part.