vendredi 12 décembre 2008

Reportage : Cameroun, une vie de "call-boxeur"



L’arrivée au Cameroun des entreprises de téléphonie mobile a permis de développer un petit métier d’un genre nouveau : le métier de «call-boxeur». Jeune journaliste camerounais, Mohamadou Houmfa raconte.




Yaoundé, il est 8 heures et Frédéric vient d’arriver à son poste de travail au lieu-dit Bonas. Il installe une tablette et une chaise en bois, ouvre son pare-soleil pour se prémunir contre la canicule de la mi-journée, allume son petit récepteur pour écouter de la musique et les informations du jour. De sa sacoche, il sort deux téléphones portables qu’il pose sur la tablette et un petit cahier gondolé où il note toutes les transactions qu’il effectue avec ses clients. Pour lui, c’est une longue journée de travail qui débute ainsi.

Non loin de là, Mélanie, une jeune fille que le sourire ne quitte presque pas, reçoit son premier client. Il prend un téléphone et émet un appel rapide. Peu après, il débourse la somme de 100 francs cfa qu’il remet à Mélanie. Celle-ci, l’allure fière, l’encaisse. On remarque pourtant que son client tient en main, un téléphone portable. «Je ne peux pas appeler de mon téléphone car, cela me revient plus cher» nous confie t-il. En effet, les entreprises de téléphonie mobiles appliquent aux «call-boxes» une tarification différente.


Un métier pour tous

Le métier de «call-boxeur» ne nécessite pas de formation. Il suffit juste de savoir compter. On y retrouve des jeunes qui ont des profils scolaires et académiques extrêmement différents. Frédéric est titulaire d’une maîtrise en économie monétaire et bancaire obtenue à l’université de Ngaoundéré. On peut remarquer sa gêne lorsqu’il nous le fait savoir. Pour lui, c’est un moyen de survie en attendant d’obtenir un travail «plus honorable». Après son diplôme universitaire, il a passé des concours d’entrée dans certaines grandes écoles et ceux lancés par la fonction publique. Mais, ses tentatives se sont soldées par des échecs : «Vous ne pouvez pas imaginer comment la société camerounaise est ingrate. Je n’en reviens pas de me voir assis ici avec ma maîtrise. Tout ce que je veux, c’est exercer un métier honorable, à la hauteur de mon niveau académique». Frédéric n’a pas le choix. Son père, un policier à la retraite, doit s’occuper de ses petits frères qui fréquentent encore le lycée. «Si je ne fais pas ce métier, je ne vois pas comment je vais me nourrir» dit-il. Ses parents ont énormément misé sur lui. Ils ont mobilisé beaucoup de moyens pour qu’il obtienne cette maîtrise. Il garde l’espoir d’être un cadre supérieur dans une institution financière.


A l’opposé de ce solide background universitaire, Mélanie a à peine franchi le cours moyen. Elle a néanmoins obtenu son certificat d’études primaires avant de quitter les bancs d’école. «J’avais alors reçu les félicitations personnelles du directeur de l’école», se souvient t-elle. Ses parents ne pouvaient plus financer ses études. «J’ai toujours voulu travailler dans une banque, mais mon rêve s’est évanoui lorsque mon père m’a fait dit que j’allais arrêter. J’ai eu du mal à l’accepter car je voyais mes camarades parader en uniforme scolaire.» se souvient t-elle. Malgré tout, les règles de calcul apprises à l’école l’aident dans ses transactions avec ses clients. A 24 ans, elle espère reprendre ses études. Elle envisage d’ailleurs, si les moyens lui permettent, de suivre les cours du soir pour passer le concours des aides-soignants. Elle pourrait ainsi postuler au recrutement des personnels sanitaires que l’Etat camerounais lance régulièrement. En attendant, ce sont les appels émis par les clients, les achats et les transferts de crédit qui lui permettent d’entretenir le rêve de ses ambitions.


Gagner sa vie à Yaoundé

Au premier regard, le bénéfice que tire le «call-boxeur» de son activité semble faible. Pour un appel émis, ce dernier gagne parfois 25 francs.

Cependant, Frédéric rassure : «A la fin de la journée, lorsque nous faisons le bilan et les comptes, nous avons toujours un bénéfice assez important». En réalité, lorsque le «call-boxeur» va s’approvisionner en crédit, son livreur lui donne un bonus important qui lui offre une marge bénéficiaire conséquente. Mélanie, par exemple, reçoit un bonus de 8000 francs lorsqu’elle achète du crédit de 12000 francs. Ce bonus constitue ainsi sa marge bénéficiaire brute.

Par ailleurs, sur chacune des cartes de recharge revendues, les «call-boxeurs» perçoivent des ristournes. Si la plupart sont réservés sur l’importance de leurs gains, Mélanie nous fait savoir qu’il y a des jours où elle dégage une marge bénéficiaire de «2500 francs à 10000 francs», de quoi faire pâlir d’envie certains fonctionnaires. Mais Mélanie tempère rapidement : «Vous devez savoir que je suis juste une employée et que je reverse la recette journalière à ma patronne. Je gagne 25000 francs par mois (environ 38€) ». Sans enthousiasme pour ce traitement salarial, Mélanie s'en satisfait : «Beaucoup de jeunes diplômés ne parviennent pas trouver un emploi. Ils restent à la charge de leurs parents alors que moi, je gagne au moins de quoi satisfaire mes besoins essentiels» avoue-t-elle. Le chômage est une réalité pour une très grande partie de la jeunesse camerounaise. Et pour ceux qui parviennent à s’intégrer dans la fonction publique, leur quotidien n’est pas des plus enviables. La rémunération des fonctionnaires des catégories les plus basses de la fonction publique camerounaise n’est pas très éloignée de celle de Mélanie. Dans les milieux du call-box, nous apprend un employeur, les salaires oscillent entre 20000 et 30000 francs par mois. Quand à Mélanie, ses 25000 francs de rémunération lui permettent de payer sa petite chambre qu’elle loue à 5000 francs par mois. Elle partage le reste entre ses frais alimentaires, ses produits de beauté et des petites dépenses liées au paiement de ses factures d’eau et d’électricité. Elle s’arrange à faire de petites économies pour parer aux problèmes de santé qui pourraient survenir. «En tout cas, je m’en sors avec mon petit salaire», explique-t-elle. Pour cela, elle doit affronter ce soleil déjà au zénith dont les rayons transpercent son pare-soleil et le monotone défilement des passants qu’animent de temps à autre, les klaxons des taxis. Sa journée de travail, comme celle de Frédéric, s’achèvera très tard le soir.

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