vendredi 12 décembre 2008

4 Novembre 1982 : Ahmadou Ahidjo démissionnait de ses fonctions

Retour sur une journée... inoubliable!


4 Novembre 1982. Un inhabituel balai de hautes personnalités rythme la vie du palais présidentiel. Les populations de la République Unie du Cameroun sont loin d’imaginer que dans les hautes sphères de l’Etat se prépare une décision d’une importance historique. A 10 heures et 15 minutes, Samuel EBOUA, secrétaire général à la présidence de la République, est reçu par celui qui dirige le pays des Lions indomptables du Cameroun, Ahmadou Babatoura Ahidjo. « Pour moi, il s’agit d’une audience de routine, comme c’est le cas tous les matins… Je trouve le président visiblement fatigué. C’est alors qu’il me révèle ce qu’il a dû méditer, ruminer pendant des mois, voire des années » écrit Sanuel Eboua dans son ouvrage Une décennie avec le président Ahidjo. Ce qu’il y apprend est tout simplement… foudroyant ! J’ai décidé de démissionner. En effet, depuis un certain temps, je constate que je ne suis plus à même d’assumer pleinement mes fonctions à la tête de l’Etat. Mes nerfs sont à bout, et mes médecins m’ont prescrit un repos complet d’un an. J’ai donc vu Biya. Je lui ai dit que vous avez servi avec dévouement l’Etat, et qu’il est souhaitable que vous continuiez à le faire. Il vous proposera donc soit le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, soit le département de l’Agriculture avec le rang de ministre d’Etat. Toutefois, au cas où vous ne désireriez pas à faire partie du gouvernement, vous pourriez aller à la Société Nationale d’Investissement en qualité de Président Directeur Général lui dit alors le Président de la République.
Il a juste le temps de souffler ce que vient de lui dire le président de la République à Sadou Daoudou, son adjoint, qui lui succède. Ce dernier en ressort, apparemment plus troublé que son devancier. Je n’ai pas pu me maîtriser. J’ai éclaté en sanglots. Ce n’est pas possible. Est-ce un rêve ou une réalité ? demande Sadou Daoudou à Samuel Eboua.
Le président Ahmadou Ahidjo reçoit plusieurs autres personnalités de grande importance et leur informe de sa décision. La nouvelle fait le tour des salons des personnages clés de la République. Personne de ceux-là ne veut y croire. Il est difficle d’imagniner un Cameroun sans le « père de la Nation ».

Le temps passe, vite. Quelques personnalités se concertent pour obtenir du Président Ahidjo qu’il revienne sur sa décision. Florent Etoga Eily dans son livre le Renouveau Camerounais, certitudes et défis raconte que, dans la nuit du 4 novembre 1982, une délégation de membres du bureau politique et du comité central de l’Union Nationale Camerounaise (UNC) se constitue pour rencontrer Ahmadou Ahidjo à cet effet. Dans cette délégation figurait, pour des raisons difficiles à expliquer, le futur Président, le Premier ministre Paul Biya écrit-il.
Rien n’y fait. Le président a pris sa décision. Il veut passer la main. L’heure fatidique de publier la grave information se rapproche. L’horloge avance, impitoyablement ! Il est 20 heures. Comme à leur habitude, les camerounais sont massés devant leurs récepteurs pour écouter les informations. Le générique du journal est lancé. Il s’étale, presque à l’infini. Pendant 23 minutes qui semblent interminables. Fait inhabituel, c’est l’hymne national qui ouvre le journal. Difficile de savoir ce qui se passe à Radio Cameroun. En fait pense Alain Foka, le Président Ahidjo qui voulait quitter la présidence de la République et la Présidence du parti au pouvoir, l’UNC est finalement convaincu qu’il doit au moins garder la présidence du parti. « J'ai la preuve que la bande initiale portant enregistrement de son discours de démission comportait bien l'expression "ET DE LA PRESIDENCE DU PARTI" …Cette partie a été coupée après qu'un certain nombre de personnalités aient insisté auprès d'Ahidjo pour qu'il conserve au moins la tête du parti » déclare le célèbre journaliste camerounais dans une émission à 3A TELESUD, une chaine de télévision panafricaine basée en France.
Une chose est certaine cependant, des choses d’une importance capitale se passent entre l’ouverture du journal et les 23 minutes pendant lesquelles le générique du journal est distillé par les ondes de la radio gouvernementale.

Et puis, l’hymne national du Cameroun retentit et la voix solennelle est puissante du président « brise » les ondes. Camerounaises, Camerounais, mes chers compatriotes. J’ai décidé de démissionner de mes fonctions de président de la République du Cameroun. Cette décision prendra effet le samedi 6 Novembre 1982 à 10 heures. La nouvelle est fracassante. Pour la dernière fois en tant que Président de la République, le Président s’adresse à la Nation pendant quelques minutes. Il dresse tout d’abord le bilan des progrès considérables dans tous les domaines accomplis pendant sa présidence. Il annonce ensuite qu’il cède le pouvoir à celui est alors Premier ministre. J’invite toutes les Camerounaises et tous les camerounais à accorder sans réserve leur confiance, et à apporter leur concours à mon successeur constitutionnel M. Paul Biya. Paternel, il invite les Camerounais à démeurer un peuple uni, patriote, travailleur, digne et respecté. « Je prie Dieu Tout-Puissant afin qu’il continue à assurer au peuple camerounais la protection et l’aide nécessaires à son développement dans la paix, l’unité et la Justice » conclut-il. Un séisme d’une magnitude indétectable vient de s’abattre sur la Cameroun. Soudain le cœur du pays s’arrête de battre. En quelques secondes, le pays est gagné par l’incertitude et le doute . Incertitude quant au sort futur du pays, doute quant à la volonté réelle de démission du Président, tant depuis l’indépendance il règne de façon autoritaire et sans partage sur le pays écrit Jean-François Bayart dans La société politique camerounaise (1982-1986).

La nouvelle est surprenante et redoutable. Il est alors difficile d’imaginer que vient de se refermer près de 25 ans de présidence Ahidjo. Il a finalement décidé de quitter la scène. Courageusement. Pour tourner une page de l’histoire et permettre à un autre camerounais de gouverner. Animé par le sentiment que, ainsi qu’il le confiait à Samuel Eboua, le Cameroun devait continuer d’exister sans lui. Au-delà des polémiques qui suivront son départ du pouvoir, son geste est rentré dans l’histoire. Une histoire qu’il aura éminemment contribué à écrire.

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