vendredi 12 décembre 2008

Médias : RFI, une radio néocoloniale ?


La présence de Radio France Internationale ne cesse de s’accroître sur le continent et dans les pays francophones où se recrute une bonne partie de son audience. Pourtant, les critiques les plus virulentes fusent du continent pour faire remarquer que la « radio mondiale » se révèle de plus en plus comme un puissant outil impérialiste.

Que ce soit dans les points de vente, les taxis, les bureaux administratifs, les chambres d’étudiants ou les salles de rédaction, RFI s’impose sur la place camerounaise et africaine. De loin plus écoutée que les chaînes locales, la radio française pulvérise les records d’audience dans la plupart pays francophones d’Afrique. Avec ses 25 millions d’auditeurs sur le continent, l’hégémonie médiatique de RFI défie toute forme de concurrence. Dans les écoles de journalisme comme à l’École Supérieure des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (ESSTIC) de Yaoundé, la radio française fait rêver les futurs journalistes. Mohamed, étudiant en journalisme cite RFI comme « la meilleure radio francophone ». « Les enseignants nous demandent souvent d’écouter Christophe Boisbouvier pour voir comment on réalise une interview … d’écouter les journaux pour améliorer la rédaction de nos papiers ». Au cours des programmes interactifs comme Appels sur l’actualité ou sur le répondeur de Médias d’Afrique ou Afrique Midi , le constat est le même, des milliers d’auditeurs africains se bousculent au standard de la radio pour véhiculer leurs messages. Dans les sphères de la radio, l’on est conscient de l’enracinement de RFI en Afrique. Antoine Schwarz, ancien président de la radio française déclarait le 18 Octobre 2007 dans l’amphithéâtre de l’ESSTIC à Yaoundé : « Nous sommes une radio dont la grande majorité des auditeurs se trouvent en Afrique. Environ 25 millions d’auditeurs. Nous sommes la première radio écoutée au Cameroun et principalement à Yaoundé ».

La popularité et la très forte audience de RFI n’occultent cependant pas le sentiment de frustration et de gêne qui traverse l‘esprit de plusieurs auditeurs en Afrique. La lutte pour la reconnaissance des droits de l’homme, l’instauration de la démocratie et la liberté d’expression apparaissent comme un idéal que partagent la majorité des Africains. Mais, les traitements tendancieux et orientés que fait cette radio de certains sujets d’actualité sur le continent donnent à penser que RFI aurait pour ambition d’administrer des leçons de culture sociale et politique aux Africains et serait une cloche qui sonne le repositionnement impérialiste de la France dans ses anciennes colonies.

Surenchère idéologique et relents hégémoniques

Les observateurs de la scène politique camerounaise se souviennent encore du coup de colère du ministère de la communication lors de l’élection présidentielle de 2004 au Cameroun. Réagissant à une interview du cardinal Christian Tumi diffusée avec insistance sur RFI, Félix Zogo, conseiller technique au ministère de la communication dressait un réquisitoire accablant contre la radio que dirige aujourd’hui Alain de Pouzilhac. « Le traitement que RFI fait de l’actualité politique sur le Cameroun depuis un certain temps et particulièrement dans le contexte de l’élection présidentielle du 11 octobre 2004, depuis la pré-campagne, la campagne, le déroulement du scrutin et aujourd’hui en période post électorale prête effectivement à caution tant les manquements observés paraissent patents et graves » disait-il sur les ondes de la Cameroon Radio and Television . Il dénonçait en outre « le choix sélectif et arbitraire des activités des candidats à cette élection ». Le constat de ce fonctionnaire camerounais reste aujourd’hui largement partagé par plusieurs auditeurs de RFI sur le continent. Les récents développements de l’actualité politique au Zimbabwe par les journalistes de RFI ont fini de convaincre que cette radio s’est choisi une vocation éditoriale aux relents néocolonialistes. Le courroux de Roseline Abendjock, auditrice camerounaise relayé dans le blog du médiateur sur le site Internet de RFI est à cet effet marquant. « Le calme est partout au Cameroun ! Mais que voulez vous ! Votre correspondant raciste tel qu’il est n’a aucune leçon à nous donner. Vous voulez nous faire ce que vous, les Européens, vous faites à Mugabe ! Parce qu’il est Noir et qu’il veut rendre les terres des Africains aux Africains ! Vous l’accusez de tout ! Avant les élections, vous avez dit qu’il a organisé la fraude massive avec des millions de faux électeurs ! S’il l’avait fait, aurait-on le résultat que l’on a aujourd’hui (au premier tour de l’élection, Ndlr) ? Vous prenez le reste des Africains comme des fous ! Mais ce n’est plus cela ! Les Africains, pour être considérés, se préparent, et ça sera pire que le 11 septembre 2001. Et le monde verra ! Je souhaite que ce message soit diffusé à mon nom ! J’assume la responsabilité. C’est clair, RFI est un média de haine ! Manipule les consciences naïves des Africains. Nous ne saurons plus rester insensibles. Ce qui est sûr, c’est que nous agirons tôt au tard » lit-on. Pour Emmanuel, étudiant en journalisme à Yaoundé, « il y a un parti pris manifeste de RFI dans les événements politiques qui se déroulent au Zimbabwe. Il y a comme une volonté de diaboliser Robert Mugabe. On a aussi vu le traitement très contestable que RFI a fait de l’affaire de l’Arche de Zoé au Tchad. Personnellement, je préfère écouter BBC qui me semble plus objectif. Si je me rabats sur RFI, c’est parce que BBC est beaucoup plus anglophone ». Ces constats rejoignent le malaise généralisé qui s’est installé dans la communauté des auditeurs de la radio française au Cameroun lorsque, à la faveur du débat sur la pratique de l’homosexualité au Cameroun, RFI a ouvertement pris position pour les homosexuels alors même que l’opinion camerounaise s’oppose radicalement à cette pratique héritée de la colonisation. Une insoutenable rupture qu’ont très mal digérée la plupart des auditeurs de RFI.

Société nationale créée par la loi du 30 Septembre 1986 et héritière du poste colonial des années 1930, RFI serait devenu - ou n’a jamais cessé d’être - une machine médiatique dont se servent la France et les Occidentaux pour imposer leurs valeurs sociales et politiques et surtout, faire et défaire les leaders sur le continent en fonction de leurs intérêts.

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