vendredi 12 décembre 2008

Paul Biya et la ruse comme stratégie gouvernante


Le président camerounais s'est toujours voulu un homme mystérieux qui obéit aux lois qu'il est le seul à comprendre, indépendamment des pulsions que laissent échapper le thermomètre social.


Prendre l'opinion à contre-pied, déjouer les pronostics de la presse, " ne pas gouverner sous la pression de la rue ", tels semblent être le credo de Paul Biya. L'homme du 6 Novembre 1982 a l'art, mieux que quiconque, de cultiver le mystère sur ses intentions, faisant du coût de sa personnalité et de son pouvoir, des mythes. Attitudes qui lui ont valu la dénomination de sphinx. Une réputation qui semble décidément lui plaire.

Voilà plus de deux mois que des rumeurs amplifiées par la presse ne cessent d'agiter le landernau politique sur une probable réorganisation de l'équipe gouvernementale. Des ministres entrants sont annoncés et des sombres prédictions sont faites à l'endroit de quelques uns dont les boules de cristal que savent si bien lire les confrères annoncent dans les geôles camerounaises, happés par l'Epervier. Comme toujours - et l'on peut le comprendre - ça remue dans le sérail et ça sent la manipulation même si le contexte d'un remaniement peut se justifier. Paul Biya, maître du casting ministériel, doit certainement regarder cela d'un sourire amusé. Machiavélique ou fin stratège, il prend son temps, libère quelques fausses prémonitions et rentre ses griffes. Pendant ce temps, les éditorialistes scrutent, supputent, les personnes pressenties pour rentrer dans le précieux cercle, piaffent d'impatience et l'adrénaline monte chez les responsables en poste. Chaque fois qu'il sent ses vraies intentions se révéler dans l'opinion, il s'arrête pour prendre tout le monde en déroute.

Récemment encore, le président camerounais nous a servi ce type de manège dont il en a le secret. Quelques semaines après les assurances données par le premier ministre à l'opinion nationale et internationale pour ce qui est de la mise en place de ELECAM, la commission électorale indépendante par le truchement de la BBC, alors que les noms circulaient déjà dans l'opinion et que tout indiquait que Elecam allait voir le jour, Paul Biya a, au soir de la date butoir, saisi l'assemblée nationale pour proroger de 6 mois supplémentaires, le délai de mise en place de Elecam. Ceux qui avaient déjà " nommé " les membres de la commission électorale n'y ont certainement vu que du feu.

Mais au fait, comment comprendre cette stratégie gouvernante, Est-elle seulement porteuse de pertinence ? Là réside toute la question car, s'il elle uniquement un simple désir de fourvoyer tout le monde, tout le temps, ce serait dément.

En réalité, l'attitude présidentielle de mystification et de mythification de ses méthodes et de ses décisions peut avoir une triple résonance :
Il s'agit tout d'abord de démontrer que, comme il l'affirmait après les émeutes de Février 2008, " ce n'est pas à la rue de décider ". Curieuse idée tout de même si tant est que personne, mais alors personne, ne saurait revendiquer le piédestal qui est celui du chef de l'Etat.
Il s'agit ensuite d'une attitude dictée par le tempérament de l'homme. Froid, distant, réservé et même effacé, les traits de caractère du chef de l'Etat influencent largement son style. Les répercussions n'en sont que remarquables sur ses agissements dont on connaît la portée sur notre pays.
Il y a enfin là, un vieux réflexe que l'on a très souvent observé chez les rois et empereurs dans une époque donnée. De l'enfance jusqu'à l'accession au trône, l'on a toujours inculqué à ceux-ci qu'il y a un cadre dans lequel se déploie nécessairement l'existence du pouvoir. Ne côtoyant presque jamais les milieux mondains, les hommes du pouvoir et de la haute société ont toujours vécu avec l'idée que ce sont eux qui font la cité et non le contraire.

Au total, Le pouvoir a certes besoin de distance ainsi que le pensait un grand homme politique français, mais cette logique n'a pas traversé les frontières de son époque. Aujourd'hui en réalité, à l'heure de la révolution communicationnelle, il nous semble que les grands leaders politiques sont ceux qui, comme Jacob Zuma, savent composer avec l'opinion. Cela frise le populisme, mais c'est une chose qui a le mérite de mettre en phase le leader et son peuple dont la rupture semble généralement irréversible.
Quoi qu'on dise en tout cas, on n'est homme politique que parce qu'on veut représenter le peuple pour faire ce qu'il attend de nous. Déroger à ce principe nous semble tout à fait inopportun et même suicidaire.

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